Une route, 2 files, 1 rangée de voitures sur chacune d'entre elles. L'une souhaite changer de file, souhait bien légitime pour envisager avec sérénité et clignotants en appui l'emprunt d'une rue transversale. Voilà une situation pour le moins courante dans nos contrées civilisées où les moteurs ont remplacé la traction animale et où la vitesse nécessite un certain nombres de règles au nom on ne peut plus approprié de "conduite"... Un étrange phénomène se met alors en place : le véhicule situé à la même hauteur sur l'autre file, comme mû par un réflexe conditionné, accélère de manière à empêcher toute intrusion automobile dans son territoire (SA file) et à passer devant le conducteur malotru qui, le fou inconscient, aurait pu le précéder. Félicitations, vous venez de faire connaissance avec Monsieur Kiasu (ou Madame car il n'y a malheureusement, pour la gente féminine, aucun sexisme là-dedans). Kiasu, un terme difficile à traduire dont le sens premier en hokkien (un dialecte chinois) signifie plus ou moins "peur de perdre". Ce comportement n'est pas particulièrement lié à la voiture et, partageant en cela et à son insu certains traits avec nos amis parisiens utilisateurs du métro, Monsieur Kiasu peut tout à fait bousculer ses voisins pour rentrer le premier dans un MRT dont tous les sièges sont vides. Monsieur Kiasu ne va pas non plus vous tenir la porte, que vous soyez ou non chargé d'enfants et/ou de paquets, vous risqueriez d'arriver avant lui au buffet. Il en profitera d'ailleurs pour se servir plus qu'abondamment de peur que les fried noodles viennent à manquer, quitte à infliger une famine temporaire aux autres gourmands et à ne pas pouvoir finir son assiette... Irritant parfois, pas systématique heureusement (quoique sur la route...) mais surtout reflet d'une société dans laquelle la méritocratie est partie intégrante de la culture commune, Cette quête du meilleur pour l'individu a évidemment ses travers sur le plan social, ce que reconnaît le gouvernement. Voyez par exemple à ce propos propos du Livre Blanc de la Population qui vient d'être adopté par le Parlement (voir l'excellent article de Paris-Singapore ici). Les Singapouriens se qualifient eux-même de kiasu comme par exemple sur le site www.kiasuparents.com dans lequel des parents et des blogueurs partagent et échangent sur l'éducation, la scolarité et de nombreux autres sujets relatifs aux enfants. Des actions sont d'ailleurs régulièrement entreprises pour tenter d'insuffler davantage de civilité dans la société comme par exemple la création du Singapore Kindness Movement ou les campagnes de publicité dans les transports en commun comme en 2013 (Graciousness on Public Transportation) ou en 2010 celle des Dim Sum Dollies avec la regrettée Emma Yong ( Love Your Ride). Heureusement, comme pour tout stéréotype, la réalité vient régulièrement contredire le cliché et le partage d'un parapluie inconnu par temps de pluie ou un sourire dans la file du foodcourt me rappelle que oui, décidément, les Singapouriens sont sympas !
Après les Tai-tai, la procrastination (oui je suis allée rechercher l'ortho. du mot, manquait plus que je l'écrive mal), voila les Kiasus...qu'est-ce qu'on apprend comme trucs grâce à toi !! C'est pour ça que t'es famous maintenant !!
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