Il n'est pas très grand, les cheveux sombres laissent apercevoir à leurs racines une fine ligne blanche, preuve d'une tricherie capillaire car ici les hommes comme les femmes ont recours à des artifices chimiques pour garder la jeunesse de leur chevelure. Il marche vers l'arrêt de bus tout proche, se cachant dans l'ombre du poteau de feu de signalisation des ardeurs du soleil lorsqu'il s'agit d'attendre pour traverser le boulevard. Il lève la main pour arrêter le bus et valide sa EZ-link card. Deux arrêts plus loin, une nuée d'écolières monte dans le véhicule, l'animant de leurs rires et de leurs discussions. Sur leur uniforme pas très seyant on peut lire leur nom et chacune d'entre elles serre sur son coeur les livres qui ne rentrent pas dans le cartable déjà obèse, peut-être ceux du dernier cours ou bien alors ceux nécessaires aux cours particuliers que beaucoup d'entre elles suivent, volonté de réussite scolaire oblige. A côté de leurs téléphones modernes, une femme en sari consulte un vieux portable même pas tactile. Au front elle porte le tilak et un peu de cendres qui indiquent qu'elle a déjà prié ce matin. A ses poignets de nombreux bracelets en or scintillent. Lorsqu'elle se lève pour sortir, elle réajuste le grand morceau de tissu autour de ses épaules d'un geste gracieux et élégant. Elle s'éloigne dans la rue, croisant au passage un vieil uncle qui vend des mouchoirs sur le trottoir. La main tendue est ridée, le pas hésitant et le besoin financier réel et désespérant. Une jeune femme lui achète un paquet, certainement plus pour soulager sa conscience que par réelle nécessité. Les cheveux cachés par un voile, elle est coquette, les yeux joliment maquillés et se presse vers le food court. Après avoir choppé sa table avec le paquet de kleenex qu'elle vient d'acheter, elle choisit le stand du chicken rice car la queue y est longue, un gage certain de qualité. Devant elle, un jeune couple attend son plat. De leur tenue vestimentaire, on peut déduire sans trop d'erreur leur appartenance professionnelle, la banque peut-être ou les assurances. A la rigueur de la tenue s'opposent la coupe de cheveux trendy du jeune homme et la manucure à paillettes de la jeune femme, comme les seuls moyens socialement acceptables de sortir un peu du rang des cols blancs du CBD. Téléphone en main, chacun consulte son écran, perdu dans son monde virtuel entre les obligations du boulot, les mails personnels, Twitter ou Facebook. Lorsqu'ils émergent du food-court, le soleil leur fait cligner les yeux mais peut-être sont-ce aussi les fumées d'encens du temple voisin dont les spirales brûlent en déroulant les voeux et les prières accrochées. Une dame d'un certain âge fait face à l'entrée, 3 bâtons d'encens à la main, yeux clos et mains jointes, pendentif en jade autour du cou. La prière ne dure que quelques secondes et réajustant son sac et son brushing, la dame repart en hâte vaquer à ses occupations, petite abeille pressée dans la ruche besogneuse de la ville...
Tous, tous ces Singapouriens, ont le temps d'un instant croisé mon chemin ou partagé un moment de temps, tous sont uniques, tous sont différents, je suis heureuse de les avoir rencontrés, tous, eux qui font le Singapour que j'aime.
Superbe! As usual!
RépondreSupprimerTu trouves toujours les mots justes, c'est incroyable!
RépondreSupprimerConcernant les cheveux blanc: mon mari asiatique ayant une chevelure blanche depuis bien longtemps, mais n'est pas vieux je précise, fait pas mal d'expériences vivant en Asie. Dans les transports publiques on lui cède régulièrement la place en pensant qu'il est vieux... Je vous assure, il n'aime pas cela du tout! Dans sa famille vietnamienne, ils ne comprennent pas non plus pourquoi il n'a tj pas cédé à la pression de la coloration; mais non, il assume et moi avec, je ne voudrait pas qu'il rentre un jour avec une crinière (qui n'en est plus vraiement...) noire.