jeudi 10 novembre 2011

Triste disparition

C'est un endroit à part, un endroit qui, je crois, est celui que je préfère à Singapour. C'est tout l'inverse de cette ville agitée, juste une bulle de verdure et de sérénité. On y croise des singes et des passants. Une petite route goudronnée ombragée par des arbres certainement centenaires ondule autour de la colline. Les oiseaux se font entendre par de longs cris flûtés et le bruit des petites cigales est omniprésent, juste atténué lorsque l'on s'aventure un peu trop près d'elles. Lorsque le vent se lève, les frondaisons des arbres se mettent à chanter, masquant le léger vrombissement des routes alentours. Entre les herbes folles et les arbustes, preuves séculaires du repos des ancêtres, des milliers de tombes chinoises essaient de résister à la nature envahissante. Les lions ou les guerriers qui défendent les stèles attendent malheureusement leur dernière heure, eux qui croyaient pouvoir prétendre au repos éternel. Le cimetière de Bukit Brown (86 ha) existe depuis 1880 et a assuré sa fonction jusqu'en 1973. Cent mille personnes y seraient enterrées. Le nord du cimetière (24 ha) va bientôt être dévasté par une route, "nécessaire" au désengorgement de la 4-voies toute proche. En complément, quelques immeubles résidentiels pourraient bien pousser en plus dans les 10-15 ans qui suivent. Pour gagner quelques hectares, c'est tout un patrimoine naturel et historique qui est sacrifié sur l'autel du développement économique. Dans ce cimetière sont enterrés des pionniers de l'ère coloniale de Singapour, tel Tan Tock Seng, marchand et philantrope du 19e siècle qui a contribué à la construction de l'hôpital public qui porte aujourd'hui son nom. On y trouve Chew Boon Lay, businessman avisé qui s'est enrichi par la culture du gambier puis par celle des arbres à caoutchouc (une zone industrielle et une station de métro sont nommées d'après lui). Et un descendant de Confucius, et, et... et tant d'autres qui ont marqué l'histoire de la communauté chinoise. Les travaux vont commencer dès 2013 et avant la fin de l'année, 5 à 6000 tombes devraient être déplacées ou exhumées. Leur devenir ? Mystère. Seule nouvelle positive (on ne saurait la qualifier de bonne), les tombes affectées seront dûment répertoriées et documentées. La machine est en marche, il ne nous restera bientôt que les yeux pour pleurer. Précipitez-vous là-bas pour garder quelques souvenirs du passé.

PS : l'API (Asia Paranormal Investigations : oui, je sais, la scientifique que je suis peut être sceptique sur certaines de leurs théories mais ils oeuvrent pour la sauvegarde de leur patrimoine et c'est déjà bien  !) a identifié les tombes marquantes et publié une carte pour les retrouver dans le cimetière. Elles sont signalées par des petits panneaux artisanaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire