jeudi 21 mars 2013

Tranche de vie

Près de chez moi, il y a une grosse avenue, une des artères qui traverse la ville d'est en ouest, un axe emprunté par des milliers d'automobilistes. Le long de cette grosse avenue, il y a des condos, beaucoup, et aussi des maisons, moins. Certaines se cachent derrière de hauts murs pour s'isoler du bruit et de la circulation. Il en est une qui fait l'angle avec une petite rue que j'emprunte tous les jours. La maison est grande, sur plusieurs étages et, par l’entrebâillement du portail automatique, on peut apercevoir 2 voitures garées. Visiblement, les gens qui vivent là sont relativement aisés et de temps en temps on aperçoit une jeune helper comme dans beaucoup de familles à Singapour. Pourtant tous les matins, une petite auntie, peut-être la grand-mère de la famille, sort balayer les feuilles devant le portail. Elle est âgée, frêle, toujours vêtue d'une robe délavée qui ressemble à une chemise de nuit. À tout petits pas, elle chasse les indésirables effrontées de l'arbre qui se penche vers la maison. Elle semble si fragile que l'on ne sait pas bien, qui du balai ou d'elle supporte l'autre. Minutieusement, lentement, avec application, elle progresse doucement laissant derrière elle un trottoir imberbe de ses attributs végétaux, indifférentes aux automobilistes qui l'observent pendant l'attente au feu de circulation. Parfois, une connaissance s'arrête pour discuter avec elle et son visage s'éclaire. Elle s'appuie alors sur le manche de son outil, grapillant ainsi quelques minutes de repos avant de reprendre sa tâche, telle Sisyphe poussant son rocher. Une fois son travail achevé, elle regagne tranquillement la quiétude de l'intérieur, en se glissant derrière le portail coulissant. En climat équatorial, sans réelle saison, les arbres perdent en permanence leurs feuilles, en petites quantités  mais avec régularité. Demain, le jour d'après et encore celui d'après, la petite auntie recommencera son travail de fourmi, balaiera doucement puis rentrera dans le secret de sa vie bien réglée, satisfaite de la première tâche accomplie... À chacun ses buts, ceux-ci, quels que soient leurs enjeux ou leur prestige, n'ont finalement que la valeur que l'on souhaite leur accorder.


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